Les femmes cyclistes doivent écrire leur propre histoire
Un cyclisme à plusieurs vitesses depuis toujours. Les femmes cyclistes doivent écrire leur propre histoire: salaire minimum, égalité, développement, économie, médiatisation, performance, concurrence…
Parmi les premières décisions du nouveau président de l’UCI, David Lappartient, l’augmentation du salaire minimum pour les cyclistes masculins World Tour et Pro-Continental est devenue symbolique à double titre.
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- Cette augmentation (2000 euros pour un salaire minimum annuel de 30839 euros pour un coureur World Tour ; 605 euros, pour un salaire minimum de 25806 euros pour un pro tour) est une excellente nouvelle pour les cyclistes de haut niveau qui veulent vivre de leur passion et envisager l’avenir plus sereinement.
- Cette décision met également en relief, par effet de comparaison, le fait que pour les femmes cyclistes, il n’y a actuellement pas de salaire minimum. De nombreuses femmes cyclistes professionnelles participant à des épreuves internationales ne sont pas payées pour pratiquer leur métier, contrairement aux hommes à niveau de performance équivalent.
Levons la tête du guidon pour prendre du recul
On est bien loin des enjeux d’égalité réelle entre femmes et hommes. Cependant, ce constat, aussi brutal qu’il ne paraît, ne doit nous écarter d’un examen lucide de la situation dans le but de soutenir une politique volontariste de développement du cyclisme au féminin.
« Tu auras de gros mollets ma fille !»
Même si le vélo fut, un temps, un vecteur d’émancipation des femmes, le cyclisme est resté un sport masculin. L’image des forçats de la route s’oppose à l’image de la femme fragile et douce véhiculée par de nombreux stéréotypes. Les femmes ont investi progressivement le cyclisme, prouvant qu’elles disposaient également de qualités d’endurance et qu’elles n’étaient pas destinées, uniquement, à la danse ou à la gymnastique.
Les performances des cyclistes femmes de renom n’ont pas permis de démocratiser le cyclisme au féminin. Le taux, faible, de licenciées, aux environs de 10%, témoigne du poids des représentations du cyclisme sur l’engagement des sportifs pour la discipline.
Ce débat – les réactions suscitées par cette décision – montre que le cyclisme au féminin veut sortir de l’invisibilité imposée par les stéréotypes.
La vigueur du cyclisme pratiqué par les femmes
Quand bien même cette assertion heurte nos valeurs, il faut admettre que, dans les conditions actuelles, la mise en œuvre d’un salaire minimum destiné aux cyclistes femmes serait contre-productive pour l’avenir de la discipline.
L’enregistrement de 44 équipes UCI témoigne de la vigueur du cyclisme au féminin de haut niveau. De nombreuses structures se sont développées pour leur permettre de participer à des épreuves internationales uniquement ouvertes à elles. On ne peut que constater la vigueur de l’engagement de ces équipes et le désir de nombreuses organisations à proposer des épreuves de qualité.
Un modèle économique fragile dans les équipes
Toutefois, les écarts peuvent être énormes entre les équipes tant sur le plan des ressources financières que des résultats. L’instauration d’un salaire minimum à charge de ces équipes aurait, sûrement, comme conséquence de déstabiliser un modèle économique très fragile. On le fera plus bas. Il faut de l’argent pour payer les femmes cyclistes. Et s’il n’y a pas assez d’argent, il n’y aura alors pas d’équipe.
De nombreux sacrifices par les femmes cyclistes
S’il faut reconnaître l’investissement d’équipes pour mettre les cyclistes femmes en situation de courir à haut niveau, la réalité est beaucoup plus crue. La situation n’est pas satisfaisante. Pour pouvoir courir à haut niveau, ces femmes cyclistes font de nombreux sacrifices :
- études,
- emplois,
- vie de famille,
- entrainement,
- qualité de la récupération.
Il peut arriver que certaines femmes cyclistes payent de leur poche pour courir : frais de déplacement, hébergement, congés payés… Tout cela se faisant au détriment de la performance. Mis à part un noyau de coureurs de très haut niveau, le niveau est excessivement hétérogène ce qui n’aide pas à tirer le niveau vers le haut.
L’équilibre commercial difficile
Si cette question des salaires des femmes cyclistes de haut niveau n’est pas morale, la réponse est strictement commerciale.
En tout état de cause, les sponsors sont difficiles à trouver. S’ils investissent dans le sport, c’est qu’ils attendent, en retour, l’exposition de leur marque. Aujourd’hui, quel que soit l’échelon de compétition, le cyclisme au féminin souffre d’un manque de médiatisation. C’est pour cette raison, principalement, qu’il peine à se développer au-delà de son niveau actuel.
Plus de médiatisation et plus de pratiquantes
La question de la médiatisation est essentielle pour offrir aux organisateurs une plus grande visibilité et donner aux marques un niveau d’exposition supérieur. Les partenaires des équipes y gagneraient également, ce qui permettrait de faire évoluer les contrats des cyclistes femmes.
Cependant, le développement du cyclisme au féminin ne passe pas uniquement par le haut niveau et la médiatisation. Cela passe, aussi, par une augmentation du nombre de pratiquantes et par une amélioration du niveau général des courses.
Une extension de la base des pratiquantes
Si une fédération sportive veut augmenter le nombre de pratiquants de haut niveau, il doit pouvoir sélectionner les meilleurs parmi un panel le plus large possible. Pourtant, à la FFC, le nombre de licenciées est faible. Le cyclisme n’attire pas, spontanément, les jeunes filles. Celles qui le pratiquent le font par tradition familiale, bien souvent, ce qui referme encore plus le cercle autour d’un noyau d’initiés. Néanmoins, la pratique du vélo comporte toutes les qualités requises pour être un sport complet. Des efforts de promotion sont à mener en direction des jeunes.
Convaincre les femmes et non pas chercher le respect des hommes
Ce manque d’engouement s’explique, sûrement, par l’idée que le cyclisme est un sport masculin. Même s’il est extraordinaire de voir des femmes réaliser les étapes du tour de France un jour avant les coureurs professionnels, il n’est pas sûr que ce tour de force herculéen n’aide les familles à inscrire leur fille au club de cyclisme le plus proche de leur domicile.
Estelle Andrieux pour #EFDV avec le club de #Blagnac pour rouler avec les Donnons des ELLES au #tourdefrance2017 avec Mme Potereau de FFC! pic.twitter.com/lTmuHhla19
— Elles font du vélo (@Ellesfontduvelo) 14 juillet 2017
Pendant qu’on médiatisait cet exploit, réalisé dans la douleur, la 28e édition du Giro Rosa est passée sous silence alors que cette épreuve réunit 24 équipes, 168 concurrentes parmi les meilleures cyclistes femmes sur un parcours sélectif de 10 étapes.
@AnnavdBreggen has just won #GiroRosa and she’s the new leader of the @UCI_WWT https://t.co/tkzj5fyZTb #UCIWWT pic.twitter.com/YakNLN3zF8
— UCI (@UCI_cycling) 10 juillet 2017
Le cyclisme pratiqué par les femmes a une histoire à écrire qui n’est pas celle du cyclisme des hommes. Il ne doit pas prouver aux hommes qu’il est capable d’exploit – ce serait contre-productif – ou chercher à attirer leur regard. Il doit réussir à convaincre les femmes, les familles qu’il est un sport aux grandes qualités.
Relever le niveau des femmes cyclistes
Actuellement, le système de détection fédéral est excellent. On repère les meilleurs ; sur sélection, ils intègrent les pôles espoirs. Dans ces structures, ils reçoivent un accompagnement professionnel : entrainement, récupération, soins, conseils. On les amène vers l’excellence. Ils étaient bons, ils deviennent encore meilleurs. Ils intègrent les différentes sélections nationales, trustent les podiums des courses nationales. Finalement, le système tourne en boucle.
Développer les structures
En dehors de ces « pôles espoirs », des équipes se structurent – de plus en plus – et permettent à de nombreuses femmes d’être en situation de réussir leur course. Car le problème est là. Il ne s’agit pas, simplement, de réunir des cyclistes au sein d’une équipe et de les faire courir. Sans un accompagnement structuré, on risque de mettre en échec des athlètes qui ne seraient pas préparés convenablement aux épreuves.
Car, au final, on cherche les progrès par une concurrence plus nombreuse et plus relevée. Des innovations comme sur le marché.
Certes oui, il y de boulot. Par contre, il y a de nombreux leviers possibles en tenant compte du système économique et de ses enjeux. Il faut donc explorer toutes les pistes et continuer à avancer.
Credit photo: Audrey Cordon Ragot