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Plus d’un homme sur deux est une sportive, vraiment ?

Plus d’un homme sur deux est une sportive, vraiment ?

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Équité et pratiques sportives … Peut-on, doit-on se réjouir que les femmes sont aussi nombreuses — voire davantage — que les hommes à pratiquer une activité sportive ?

Vous connaissez certainement cet adage : un homme sur deux est une femme. Mais saviez-vous que désormais, en matière de sport, plus d’un homme sur deux, est une femme ? C’est en tout cas ce que nous annonce avec enthousiasme, le magazine Les Sportives : les sportives sont désormais plus nombreuses que les sportifs. On les remercie de leur aplomb. On a l’habitude nous aussi d’encourager les prises de position pour la promotion et la défense du sport féminin.

Aplomb ou plomb dans les elles ?

Pour autant cet enthousiasme ne risque-t-elle pas de se retourner contre nous. Car cette annonce d’une majorité de femmes dans les pratiques sportives, elles l’empruntent aux résultats discutables d’un sondage effectué par le cabinet ODOX … pour RTL et Groupama.

Le sondage en question aurait été réalisé les 29 et 30 janvier 2020 (juste après les fêtes, quand les bonnes résolutions nous dirigent toutes vers les salles de sport… ), auprès de 1005 personnes, un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La « synthèse détaillée » (sic : on apprécie l’oxymore, ou pas) dudit sondage évoque bien une marge d’erreur possible, mais qui ne contredirait pas la bonne nouvelle : les sportives sont plus nombreuses que les sportifs.

« La pratique sportive est désormais plus répandue chez les femmes (53%) que chez les hommes (49%) »

— Les Sportives.

Massification des pratiques sportives, essor de la pratique féminine

Certes, depuis plusieurs décennies, la proportion des femmes a augmenté suite à la massification des pratiques sportives, à la diversification des activités, des finalités et des formes de pratiques.

Cependant, quand on consulte d’autres sources, telles que l’Institut national des sports et de l’éducation physique, on s’étonne d’un tel bouleversement, si rapide.

[..] L’arrivée des femmes a fortement contribué à la massification de la pratique physique et sportive, toutes formes et finalités confondues. En 1967, 22 % d’entre elles se déclaraient pratiquantes occasionnelles ou régulières ; en 2000, c’est dans une proportion comparable à celle des hommes qu’elles se disent adeptes de l’exercice physique ou du sport : 79 % des femmes de 15 à 75 ans déclarent exercer au moins une activité, contre 88 % des hommes [Institut national des sports et de l’éducation physique — ministère de la Jeunesse et des Sports, 2002]

— in Davisse, A. & Louveau, C. (2005). 17. Pratiques sportives : inégalités et différences. Dans : Margaret Maruani éd., Femmes, genre et sociétés: L’état des savoirs (pp. 139-147). Paris: La Découverte.

Des chiffres inégaux, mais pourquoi ?

On le voit : les écarts sont saisissants. D’une part, le cabinet Odoxa affirme que 53% des femmes font du sport contre 49%. Et du côté de l’INSEP, ce sont 79% contre 88% resp. de femmes et hommes pratiquant une activité sportive. Comment expliquer ces écarts ? On trouvera précisément une piste de réponse dans « La pratique des activités physiques et sportives en France », une enquête réalisée conjointement par le Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, en 2003, plus précisément au chapitre 12, La mesure de la pratique sportive dans les enquêtes statistiques :

« De l’avis La mesure du taux de pratique sportive varie parfois fortement d’une enquête à l’autre, même quand elles ont lieu la même année. Avant de chercher à comparer les résultats de deux enquêtes statistiques, il convient de s’interroger sur ce qu’elles s’efforcent d’estimer et sur la nature des écarts mesurés, afin de faire la part des choses entre les aspects techniques, méthodologiques et conceptuels, et l’évolution réelle des pratiques.

Des enquêtes conçues dans des contextes distincts conduisent toujours à des choix différents en terme de méthode et de contenu des questionnaires. Les écarts produits par les différences d’ordre méthodologique semblent être bien moins importants que les écarts provenant de différences dans les concepts utilisés ».

— Lara Muller, Chapitre 12. La mesure de la pratique sportive dans les enquêtes statistiques.

Et on ne doute pas que les objectifs de RTL et Groupama, au travers du cabinet Odaxa sont autres que ceux de l’INSEP.

Une asymétrie en voie de résorption

Ainsi, on pourrait prendre une 3e étude, sans doute aussi sérieuse, à savoir le Baromètre national des pratiques sportives, 2018, commandité par le Ministère des sports et INJEP, selon lequel :

« La règle qui prévaut est que le taux de pratique des hommes est supérieur à celui des femmes et que l’on pratique plus souvent avant 40 ans qu’à partir de cet âge ».

— p.11, Croutte P., Y., Müller J., 2018, Baromètre national des pratiques sportives 2018, Baromètre réalisé par le CREDOC sous la direction de Hoibian S. pour l’INJEP et le ministère des sports, INJEP Notes & rapports/Rapport d’étude.

Si ce n’est pas la proportion qui est en cause ici, c’est la récurrence de la pratique, qui participe aussi de la quantification de l’activité sportive entre hommes et femmes. Par ailleurs, le Baromètre, récent également puisque daté de 2018, statue également, de façon plus modérée, sur les différences entre pratiquant.e.s et non-pratiquant.e.s :

« Quant à la différenciation selon le sexe, les taux de non-pratiquants chez les hommes et les femmes sont plutôt proches : 37 % des femmes se déclarent non-pratiquantes, contre 31 % des hommes. Même si l’on observe un écart de 6 points, d’autres études indiquent une réduction progressive des différences liées au sexe. L’INJEP note une hausse de la pratique féminine de cinq points entre 2009 et 2015 alors que le taux est resté stable chez les hommes : l’asymétrie de pratique sportive entre hommes et femmes est donc en voie de résorption progressive. »

Notons que ce Baromètre de 2018 évoque aussi des précautions et réserves :

La mesure du taux de pratiquants et de non-pratiquants s’avère extrêmement sensible à la façon dont l’information est recueillie, que ce soit le choix des mots employés (sport, activité sportive, activité physique, activité sportive et physique…), la période de référence choisie ou encore le mode de recueil.

— Op.cit. Page 7.

Pratiques sportives en quantité ou en qualité ?

On ne remettra pas ici en cause le résultat de l’échantillon sondé par le cabinet, mais on ne peut que modérer l’enthousiasme un peu naïf de sa conclusion. Car comme l’étude le révèle aussi : certains sports restent encore sexués et, si femmes et hommes ont la même perception de l’activité sportive, les femmes subissent encore des discriminations quant à cette pratiques. Elles manquent de budget et d’infrastructures à proximité de chez elles. Ce que l’étude précitée dénonçait déjà en 2005, soit il y a quinze ans.

« La massification d’une activité physique n’a pas entraîné l’uniformisation des pratiques et encore moins leur indifférenciation. Depuis une trentaine d’années, nombre d’enquêtes sur les Français et les pratiques sportives ont mis en avant des obstacles spécifiques pour les femmes : la situation familiale, les enfants, les coûts ou encore l’éloignement des équipements appartiennent à cet ensemble de « raisons » invoquées ».

— In Davisse, A. & Louveau, C. (2005). 17. Pratiques sportives : inégalités et différences. Dans : Margaret Maruani éd., Femmes, genre et sociétés: L’état des savoirs (pp. 139-147). Paris: La Découverte.

Notons à cet égard que l’INJEP, évoqué plus haut, a par ailleurs publié une étude donnant des chiffres pour l’année 2015. Constat : la hausse de la pratique sportive est due aux femmes … ET aux seniors. Une lecture attentive de l’étude permettra de comprendre qu’en fait, ce sont les 60+ qui portent la hausse ds pratiques sportives et que si la pratique s’est féminisée, les hommes restent plus nombreux à faire du sport. En 2015 donc.

C’est quoi la bonne nouvelle ?

Quel a donc été le progrès, quelle est la bonne nouvelle dans cette annonce ? En quinze ans, la pratique aurait augmenté, mais les discriminations n’ont pas diminué. Bref, moi, ça ne me réjouit pas tant que ça. Vous en pensez quoi ?

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Je suis la fondatrice et l’éditrice de ellesfontduvelo.com, et la cyclo-gimmick de la bande. 5 vélos (Bianchi, Canondale, Kona, Wilier et Brompton), mon coeur bat pour les braquets et le moulin. J’ai pratiqué beaucoup, un peu, passionnément. Ai procrastiné longtemps aussi. Et prépare un grand retour à mes premières amours: le vélo. Et plus particulièrement le vélo de route. Et le pliant. Et le weehoo pour mes enfants.

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